Ch. 20 - De l'exécution instrumentale. §1b l'art de jouer des instruments à vent


Chapitre XX
 

De l'exécution instrumentale.
§1 - De l'art de jouer des instruments.
b - l'art de jouer des instruments à vent 





Bien que la France ait produit plusieurs virtuoses pour les instruments à vent, elle n'a pas la même supériorité en ce genre que dans les instruments à cordes : en général, l'Allemagne l'emporte sur elle à cet égard. Une des plus grandes difficultés qu'il y ait à vaincre sur cette sorte d'instruments est d'en adoucir le son, et de jouer piano ; les instruments à vent jouent généralement trop fort dans les orchestres français. L'obligation de jouer piano est cependant devenue d'autant plus impérieuse, que la musique de la nouvelle école admet l'usage presque continuel de tous les instruments par masse, pour en tirer du coloris, et que ces masses étouffent le chant lorsqu'elles ne sont point adoucies à l'excès.

Les instruments à vent employés dans l'orchestre par les compositeurs de l'école actuelle sont:
  • deux flûtes,
  • deux hautbois,
  • deux clarinettes,
  • deux bassons,
  • deux ou quatre cors,
  • deux trompettes,
  • auxquels on ajoute quelquefois trois trombones, des ophicléides, des bugles ou trompettes à clefs, etc.
La qualité la plus nécessaire pour bien jouer de la flûte est une bonne embouchure, c'est-à-dire une certaine disposition des lèvres propre à faire entrer dans l'instrument tout le souffle qui sort de la bouche, et à ne pas faire entendre une sorte de sifflement qui précède le son, et qui est fort désagréable dans le jeu de quelques flûtistes. La construction de l'instrument a été beaucoup améliorée depuis vingt-cinq ans ; néanmoins elle n'est pas parfaite, et sa justesse est loin d'être irréprochable ; l'artiste seul peut lui donner cette justesse si nécessaire par la modification de son souffle, et quelquefois par de certaines combinaisons de doigté. Les notes détachées se faisant au moyen d'une articulation qu'on appelle coup de langue, il est indispensable que l'artiste possède beaucoup de volubilité dans l'organe de la parole pour exécuter avec netteté les traits rapides, et surtout il faut qu'il s'accoutume à mettre un ensemble parfait entre les mouvements de la langue et ceux des doigts.

Le premier flûtiste qui eut quelque mérite en France fut Blavet, directeur de la musique du comte de Clermont: il brilla dans la première moitié du XVIIIe siècle ; mais il fut inférieur à Quanz, compositeur de la cour de Prusse, et maître de flûte de Frédéric II. Quanz fut non seulement un virtuose, mais un grand professeur qui a écrit un livre élémentaire excellent sur l'art de jouer de la flûte, et qui a commencé à perfectionner cet instrument en y ajoutant une clef ; la flûte n'en avait qu'une seule avant lui. Aucun flûtiste remarquable ne s'était fait connaître depuis Quanz et Blavet, lorsque Hugot, artiste français, se fit une brillante réputation, vers 1790, par la beauté du son qu'il tirait de la flûte et par la netteté de son exécution. Quant à son style, il était vulgaire comme celui de tous les joueurs d'instruments à vent de son temps. Cet artiste recommandable, dans un accès de fièvre chaude, s'échappa de son lit et se précipita par sa fenêtre, au mois de septembre 1803.
Aucun flûtiste n'avait pu remédier au défaut principal de la flûte, qui est la monotonie, quand Tulou, encore enfant et élève du Conservatoire, manifesta un génie particulier qui devait réformer à la fois et l'instrument, et l'art d'en jouer, et la musique qui lui était destinée. Le premier il reconnut que la flûte est susceptible de varier ses accents et de fournir diverses qualités de son par le moyen des modifications du souffle. Cette découverte ne fut pas le résultat de ses recherches ni de ses réflexions, mais d'une sorte d'instinct qui fait les grands artistes. La flûte, sous les doigts de Tulou, a souvent des inflexions dignes de rivaliser avec la voix humaine, et cela donne à son jeu une qualité d'expression qui n'a été égalée par aucun flûtiste, bien que d'autres virtuoses aient pris sa manière pour modèle, au moins en certaines choses. Drouet et Nicholson ont tenu le premier rang parmi ceux-ci. Le premier se distingue par une exécution brillante et par une volubilité de langue plus étonnante que tout ce qu'on avait entendu jusqu'à lui ; mais son style est froid et son jeu ressemble plus à des tours de force qu'à de la musique véritable. Nicholson, mort depuis peu d'années, a été le premier flûtiste de l'Angleterre, et aurait été partout un artiste distingué. Il y avait quelques traces de mauvais goût dans son jeu, et surtout dans sa musique ; mais son exécution était nette et brillante, sa qualité de son pure et volumineuse, et son habileté à passer d'un son à un autre par des nuances insensibles fort remarquable.
(voir la liste des flûtistes célèbre sur wikipedia.)

C'est en Italie que l'art de jouer du hautbois a pris naissance, et que l'on a fait d'un instrument grossier, destiné aux bergers, l'instrument le plus parfait de la famille des pneumatiques. La difficulté la plus considérable qu'il y ait à vaincre pour bien jouer du hautbois consiste dans l'obligation de retenir le souffle pour adoucir le son et pour éviter les accidents qu'on nomme vulgairement des couacs ; accidents qui ont lieu lorsque l'anche seule entre en vibration, sans faire sortir le son de l'instrument. Cependant il est nécessaire de prendre certaines précautions lorsqu'on joue avec beaucoup de douceur, parce que l'instrument peut quelquefois octavier, c'est-à-dire faire entendre l'octave aiguë du son qu'on veut produire.

Filidori, hautboïste né à Sienne, contemporain de Louis XIII, qui l'entendit avec admiration, est le premier qui soit mentionné dans l'histoire de la musique pour son talent à jouer de son instrument. Une famille originaire de Parme, nommée Bésozzi, a produit ensuite plusieurs artistes célèbres en ce genre, qui ont brillé en Italie, en Allemagne et en France, pendant toute la durée du XVIIIe siècle. Alexandre Bésozzi, aîné de quatre frères, vécut à la cour de Sardaigne, et y consacra sa longue vie à perfectionner son talent et à composer de bonne musique pour son instrument. Antoine s'établit à Dresde, et y forma des élèves qui ont ensuite propagé sa méthode. Gaétan brilla à Londres jusqu'en 1793. Charles Bésozzi, fils d'Antoine, fut élève de son père pour le hautbois, et le surpassa en habileté. Enfin Jérôme, fils de Gaétan, entra au service du roi de France en 1769, et y resta jusqu'à sa mort. Un hautboïste allemand, nommé Fischer, fut le rival des Bésozzi, et parvint à jouer du hautbois avec une légèreté et une douceur inconnues jusqu'à lui. L'école de hautbois, fondée en France par Jérôme Bésozzi, a produit Garnier et Salentin. M. Vogt, élève de ce dernier, s'est distingué par une puissance d'exécution très remarquable ; on ne peut lui reprocher que de ne pas adoucir assez le son de son instrument. Brod, élève de M. Vogt, avait évité ce défaut de son maître, et jouait avec une légèreté et un goût parfait ; mais il tombait quelquefois dans le défaut contraire à celui de M. Vogt ; car, en jouant avec douceur, il. lui arrivait quelquefois d'octavier. Parmi les hautboïstes les plus remarquables de l'époque actuelle, on distingue M. Verroust et Lavigne, formés tous deux au Conservatoires de Paris par les soins de M. Vogt.
(voir la liste des hautboïstes célèbre sur wikipedia.)

La clarinette, instrument dont la qualité de son ne ressemble ni à la flûte ni au hautbois, est d'une grande utilité dans l'orchestre. Malheureusement sa construction est encore imparfaite sous le double rapport de la justesse et de l'égalité des sons ; mais le talent de l'exécutant peut parvenir à faire disparaître ces défauts, au moins en partie.

Les clarinettistes allemands ont une supériorité incontestable sur les Français. Quelques uns de ceux-ci se sont distingués par un jeu brillant, mais ils n'ont jamais pu acquérir le son doux et velouté de leurs rivaux de l'Allemagne. Divers préjugés les en ont empêchés ; par exemple, ils font consister une partie du talent à tirer de leur instrument un son puissant et volumineux, qui est incompatible avec la douceur ; de plus, ils s'obstinent à presser l'anche par la lèvre supérieure, au lieu de l'appuyer sur l'inférieure, qui est à la fois plus ferme et plus moelleuse. Joseph Beer, virtuose au service du roi de Prusse, a fondé, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, une école de clarinette de laquelle sont sortis plusieurs artistes remarquables, parmi lesquels on distingue Baermann, qui s'est fait entendre à Paris avec beaucoup de succès en 1818. Un son doux et velouté, une articulation nette et franche dans les difficultés, et un style plus élégant que celui des autres clarinettistes connus, ont placé cet artiste au premier rang, même en Allemagne. Willman, de Londres, fut aussi un artiste d'un mérite fort rare ; enfin Berr, de l'orchestre du Théâtre-Italien, s'est fait remarquer par sa belle qualité de son et le fini de son exécution. Aujourd'hui Baermann fils est considéré comme le premier clarinettiste de l'Allemagne. M. Cavallini, de Milan, a une puissance d'exécution extraordinaire dans les traits difficiles, quoiqu'il se serve encore de l'ancienne clarinette à six clefs ; enfin M. Blacs, professeur de clarinette au Conservatoire de Bruxelles, s'est fait une brillante réputation par la douceur du son et l'élégance du style.
(voir la liste des clarinettistes célèbre sur wikipedia.)

On a vu (chapitre XVI) quels sont les défauts du basson: soit par l'influence de ces défauts, soit par toute autre cause, les bassonistes de mérite ont été toujours rares.

En France, Ozi et Delcambre avaient un beau son, mais ils manquaient de goût et retenaient l'instrument dans des limites étroites quant aux difficultés. Un Hollandais, nommé Mann, eut un talent plus élevé pour l'art de chanter et pour la netteté du jeu ; mais il ne chercha pas à se faire connaître et resta dans l'obscurité. Berr, le clarinettiste, eut aussi beaucoup de talent sur le basson ; mais M. Willent-Bordogni, aujourd'hui professeur au Conservatoire de Bruxelles, a poussé plus loin qu'aucun de ses prédécesseurs l'art de jouer de cet instrument, par la beauté du son, le goût dans la manière de phraser, l'égalité, la justesse et la netteté du coup de langue dans les traits difficiles.
(voir la liste des bassonistes célèbre sur wikipedia.)

Les instruments de cuivre sont difficiles à jouer, particulièrement ceux dont les intonations ne se modifient que par le mouvement des lèvres, comme le cor et la trompette. Cette difficulté est si grande sur le cor, qu'il a été nécessaire de borner, pour la plupart des exécutants, l'étendue de l'échelle des sons qu'ils doivent parcourir. Tel artiste qui joue avec facilité les sons graves et ceux du médium ne peut parvenir à jouer les sons aigus, et vice versa. La dilatation considérable des lèvres qui est nécessaire pour les uns est incompatible avec la contraction par laquelle on exécute les autres. D'ailleurs l'embouchure varie d'ouverture à son orifice selon la gravité ou l'aigu des sons de l'instrument. Pour les sons graves il faut une embouchure évasée, et pour les sons aigus il faut qu'elle soit beaucoup moins ouverte. Ces considérations ont fait diviser le cor en premier et second cor, que M. Dauprat, professeur au Conservatoire, a nommés avec plus de justesse cor alto et cor basse, parce que le diapason de l'instrument divisé de cette manière a de l'analogie avec les voix de contralto et de basse. Les artistes qui jouent la partie de cor alto ne peuvent jouer celle de cor basse, et réciproquement. Outre les deux divisions du cor dont il vient d'être parlé, il en est une autre à laquelle on a donné le nom de cor mixte, parce qu'elle participe des deux premières, sans atteindre aux extrémités graves ou aiguës de l'une ou de l'autre. Cette division est celle où il est le plus facile d'acquérir une exécution nette et sûre, parce qu'elle s'éloigne également et des inconvénients d'une trop grande dilatation des lèvres, et de ceux d'une contraction exagérée. Les cors d'orchestre sont toujours rangés dans l'une ou l'autre des deux premières catégories ; mais quelques cornistes solos ont adopté la troisième. Celle-ci est la moins estimée, parce qu'elle est bornée à un petit nombre de notes, et parce qu'elle est plus facile que les deux autres.
Frédéric Duvernoy, qui a joui d'une grande réputation, il y a quarante ans, était un cor mixte ; il ne sortait jamais de l'étendue d'une octave du médium.
 
Après la difficulté d'attaquer les sons avec netteté et celle d'exécuter les traits avec facilité et volubilité, il n'en est pas de plus grande que d'égaliser la force des sons ouverts et des sons bouchés. Ceux-ci sont presque toujours sourds, tandis que les autres ont de la rondeur et de l'éclat.

Personne ne paraît avoir possédé aussi bien que M. Gallay cette égalité si nécessaire. Il est fort difficile de distinguer dans son jeu ces deux espèces de sons, tant il a d'habileté sous ce rapport. On doit le proposer pour modèle aux jeunes cornistes.
Après Hampl, le premier corniste qui acquit de la célébrité, fut Punto, son élève, né à Teschen en Bohême vers 1755. Cet artiste, dont le nom véritable était Stich, qui signifie piqûre (punto en italien), eut un talent admirable pour tirer de beaux sons du cor dans les notes aiguës, et pour exécuter les traits et le trille comme aurait pu le faire un violoniste sur son instrument. Il se servait habituellement d'un cor d'argent, qui, disait-il, était d'une qualité de son plus pure que ceux de cuivre. Lebrun, corniste français au service du roi de Prusse, fut l'émule de Punto et l'emporta sur lui dans l'art de chanter avec grâce sur son instrument. Ce fut lui qui, le premier, imagina de se servir d'une boîte conique en carton, percée d'un trou, pour faire les effets d'écho. Plusieurs autres cornistes français se sont distingués par des qualités particulières ; j'ai cité Duvernoy et Gallay ; on peut nommer aussi M. Dauprat, qui, comme professeur, a beaucoup amélioré l'école du cor au Conservatoire.
(voir la liste des cornistes célèbre sur wikipedia.)

Dans les orchestres on remarque souvent qu'il arrive aux cornistes de manquer leurs intonations et de faire ce qu'on nomme vulgairement un couac ; ces accidents proviennent presque toujours de ce que l'artiste néglige de retirer l'eau qui s'amasse dans le tube par l'effet de la respiration ; la moindre bulle suffit pour arrêter l'air au passage et l'empêcher d'articuler les sons.


La trompette, instrument du même genre que le cor, est aussi fort difficile à jouer, et les fautes que fait l'exécutant y sont plus facilement senties, parce que les sons ont une qualité plus pénétrante et plus aiguë. Il est surtout difficile d'en jouer avec douceur et pureté.

Les artistes français qui jouent de cet instrument n'ont pas l'habileté des Allemands, ni même des Anglais. On cite en Allemagne les deux Altenburg, père et fils, qui furent des virtuoses de premier ordre, et beaucoup d'autres qui exécutent avec douceur et précision des passages singulièrement difficiles. Quelques ouvrages de Hændel contiennent des parties de trompette si difficiles, qu'on peut à peine comprendre comment on pouvait les jouer ; elles font présumer qu'il y eut en Angleterre dans ce temps-là quelque trompettiste doué d'un talent extraordinaire. M. Harper s'y est fait remarquer par l'art de modifier la douceur et la force des sons, par la précision avec laquelle il exécutait les difficultés, et par l'heureuse disposition de ses lèvres, qui lui permettait de monter sans peine aux sons les plus aigus. Les frères Gambati eurent aussi un talent remarquable (1820-1835). Parmi les trompettistes les plus distingués de l'époque actuelle, M. Zeiss, professeur au Conservatoire de Bruxelles, me paraît occuper le premier rang. Sa trompette à cylindre a toute la puissance de la trompette ordinaire bien jouée, et la douceur des sons qu'il en tire égale ceux de la meilleure clarinette. Il exécute aussi des difficultés qu'aucun autre n'aurait osé jouer autrefois.
(voir la liste des trompettistes célèbre sur wikipedia.)

Les instruments de cuivre dont les intonations se modifient par des moyens mécaniques, comme la trompette à clefs, les ophicléides et les trombones, ont aussi leur genre de difficultés ; mais ils ont l'avantage de ne point exposer l'exécutant à manquer les notes. Le mouvement continuel de la coulisse des trombones, et les ouvertures des clefs des hornbugles et des ophicléides, jointes à leur large diamètre, ne permettent pas à l'eau de s'y condenser en bulles et d'empêcher la colonne d'air de vibrer dans le corps de l'instrument. Pour bien jouer de ces instruments, il faut seulement être bon musicien, avoir des lèvres fermes et une poitrine robuste. Il y a quelques artistes qui se distinguent par les tours de force qu'ils exécutent sur le trombone ; mais ces difficultés vaincues sont plus singulières qu'utiles dans l'orchestre, où la place de cet instrument est marquée.

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